En Bretagne, les prélèvements pour l’eau potable (77% des 315 Mm3 prélevés annuellement), l’industrie (3%), l’élevage (14%) ou l’irrigation (6%)1 ne représentent qu’un volet des multiples usages qui dépendent de la quantité et de la qualité de l’eau parmi lesquels la vie aquatique, la ressource piscicole, les plans d’eau récréatifs, etc. La sécheresse de 2022, inédite en termes d’intensité de chaleur et d’absence de pluie, a provoqué la rareté de cette ressource en eau indispensable au territoire. Alors que les scénarios prédisent une aggravation de ces phénomènes à l’avenir, il convient de bien comprendre leurs causes pour mieux se préparer et s’adapter
Sécheresse et cycle de l’eau : quelques concepts pour comprendre
Pour bien comprendre l’impact d’une sécheresse – un événement météorologique – sur la disponibilité de la ressource en eau, on peut voir le cycle de l’eau comme un ensemble de réservoirs qui se vident à des vitesses différentes par évaporation (~60% du total par le sol ou la transpiration des plantes, plus quand il fait chaud) ou par infiltration et ruissellement dans les nappes phréatiques et les rivières. Les différents réservoirs sont les retenues d’eau, les rivières, le sol et l’eau souterraine ; ils se vident sur des échelles de temps différentes, allant de la journée au mois. Les eaux souterraines constituent le réservoir le plus volumineux, et de loin (>100 fois la somme des autres) mais aussi le plus lent à se vider. Elles alimentent les rivières avec des temps de vidange variables en fonction de la géologie de 1 à 2 mois. La gravité potentielle d’une sécheresse est donc directement liée à la manière dont les nappes se remplissent et se vident avec deux indicateurs forts : la quantité d’eau qui s’est infiltrée pendant la période de recharge, principalement l’hiver, et le temps depuis la dernière recharge au regard du temps de vidange des nappes aquifères.
La disponibilité de l’eau est aussi un élément à prendre en compte dans l’impact d’une sécheresse. En Bretagne, 68% des prélèvements se font sur l’eau de surface (77% pour l’eau potable), principalement en amont des retenues. Le temps de vidange n’est plus naturel mais contrôlé par la consommation et les besoins. Le temps de remplissage, par contre, dépend pour une grande part de la vidange des nappes aquifères en amont du bassin. Une gestion raisonnée des prélèvements dans les retenues peut permettre d’atténuer l’impact d’une sécheresse mais cela ne peut se faire que dans la limite des stocks disponibles et donc avec des contraintes voisines de celles présentées précédemment. Le prélèvement direct en profondeur dans l’aquifère peut être une ressource alternative mais qui n’est pas complètement indépendante des autres réservoirs du cycle de l’eau.
Ce préambule explique les deux indicateurs qui tentent d’expliquer le caractère particulier de la sécheresse de 2022 : la quantité d’eau disponible pour la recharge des aquifères et la durée de la sécheresse.
Un été sec qui vient de loin
L’été 2022 a été très sec en Bretagne, notamment le mois de juillet qui a atteint un record avec seulement 0.8 et 4 mm de pluie à Rennes et Brest respectivement, soit des déficits de précipitation de 98 et 94% par rapport à une année moyenne. En fait, la sécheresse de 2022 a débuté en Bretagne dès l’automne 2021 avec 9 mois déficitaires en pluie sur 12 (figure 1) entre septembre 2021 et septembre 2022. Le déficit en pluie a été particulièrement remarquable de janvier à mai 2022, avoisinant 50% par rapport à une année moyenne tant à Brest (-49%) qu’à Rennes (-46%)
Figure 1 : Excédents et déficits mensuels de précipitation observés à Brest et à Rennes de septembre 2021 à septembre 2022 par rapport à la moyenne 1981 – 2010 Rennes. Réalisation HCBC.
Alerte sur l’eau potable
Comme beaucoup d’autres départements français, les quatre départements bretons ont été placés en situation de vigilance, puis d’alerte et enfin de crise vis-à-vis de la ressource en eau. En juillet 2022, l’ensemble des départements bretons était en situation de crise avec des réductions de prélèvements pour l’agriculture et l’industrie, et des réductions d’usage pour les particuliers. Cette situation a connu un paroxysme dans les Côtes d’Armor où la préfecture alertait dans un communiqué le lundi 26 septembre sur « un risque sérieux de rupture de l’alimentation en eau potable » dans les semaines à venir. Le retour des précipitations en octobre et surtout en novembre (+28% de pluie par rapport à la normale dans la région de Rennes) a heureusement permis d’éviter cette situation, mais cela s’est joué à 15 jours près dans certains territoires comme celui de Dinan (photo 1). Cette situation d’extrême tension sur l’eau potable est liée au fait que 70% de l’alimentation en eau potable de la Bretagne provient de retenues qui se remplissent grâce aux précipitations hivernales. Une année comme l’année 2021-22 où l’hiver et le printemps ont été secs à très secs conduit inévitablement à des tensions sur l’eau potable l’été et l’automne suivants, surtout si l’été est lui aussi très sec, comme cela a été le cas en 2022.
Photo 1 : niveau d’eau observé fin septembre 2022 dans la retenue du Pont Ruffier qui alimente Dinan en eau potable. ©Dinan Agglomération.
L’été 2022 : l’association sécheresse-chaleur extrême
L’été 2022 a souvent été comparé à l’été 1976, qui jusqu’ici faisait référence en matière d’été très sec. Si les volumes cumulés de précipitations observés à Rennes du 1er mai au 31 août sont effectivement comparables (107 mm en 2022 contre 82 mm en 1976), il existe une différence notable entre les deux années qui est l’occurrence en 2022 de pics de chaleur extrême qui n’étaient pas observés en 1976 (figure 2). Ainsi, le seuil des 37.5 °C a été dépassé à trois reprise en 2022 à Rennes avec un maximum de température atteint le 17 juillet de 40.5° C, alors que ce seuil n’avait pas été dépassé en 1976, le maximum de température observé à Rennes cette année-là n’étant que de 36.3°C. Encore plus que la sécheresse, c’est l’association sécheresse – pics de chaleur extrême qui caractérise l’année 2022.
Figure 2 : Comparaison des précipitations et températures maximales observées à Rennes en 1976 et 2022. Production HCBC
Des sécheresses comparables à 2022 plus fréquentes dans le futur ?
Sur la figure 3, on a représenté chaque été à Brest par un point : la température moyenne des mois de juillet et août se lit sur l’axe horizontal (froid à gauche, chaud à droite) et les précipitations de juillet-août sur l’axe vertical (sec en bas, arrosé en haut). Chaque année se place ainsi dans un des quatre quadrants en fonction des caractéristiques de l’été. Les années observées depuis 1951 sont représentées par des points bleus, sauf l’année 2022 indiquée en jaune et 1976 en vert : elles se trouvent en bas du nuage de points bleus, matérialisant la sécheresse de ces années. Les points orange représentent les mêmes données pour le scénario RCP8.5 du modèle de Météo-France : le nuage de point est décalé vers la droite (plus chaud) et vers le bas (plus sec). L’année 2022, qui apparaissait comme exceptionnellement chaude dans les observations, paraît beaucoup plus “banale” comparée aux projections : de nombreuses années connaîtront, avec ce scénario, des précipitations comparables mais avec des températures bien plus élevées, occasionnant des déficits hydriques bien plus importants dans le futur.
Figure 3 : Caractéristiques des étés (juillet-août) à Brest en fonction de la température (axe horizontal) et des précipitations (axe vertical). Les années observées sont en bleu ; les années projetées pour le futur (CM5-CNRM-Aladin63, RCP 8.5) en orange. Les étés “chauds et secs” sont clairement plus fréquents dans les projections futures. Source des données : Météo-France et Portail Drias; réalisation HCBC.
Titre : Sécheresse 2022 en Bretagne : tension sur la ressource en eau
Auteur : Haut Conseil Breton pour le Climat
Année de publication : 2023
Type : Rapport
Citation : HAUT CONSEIL BRETON POUR LE CLIMAT, 2023, « Sécheresse 2022 en Bretagne : tension sur la ressource en eau », Bulletin annuel 2023, p.13-16.
- OEB, chiffres clés de l’eau en Bretagne, Editions 2022 ↩︎