S’adapter à un littoral breton en mouvement

Face aux risques d’érosion et de submersion, les stratégies d’adaptation peuvent être de plusieurs natures et traduire trois grandes postures en termes d’aménagement du littoral : défendre, subir ou reculer. A quoi cela renvoie-t-il et quelles mesures sont à privilégier aujourd’hui ?

Défendre, subir et reculer

Défendre consiste à vouloir renforcer en certains endroits les protections contre l’aléa marin. Héritée d’une vision fixiste du trait de côte et d’une culture du « génie civil », elle se traduit par des infrastructures en dur qui ne font que renforcer le problème d’érosion et donc la vulnérabilité des littoraux. Des méthodes de protection du littoral dites « douces » existent aussi, qu’il s’agisse de la protection et la restauration des dunes côtières (premier écran protecteur du territoire), du rechargement artificiel des plages, de l’installation de drains sous la plage pour limiter la reprise de sable par la mer, ou encore, comme à Gâvres (Morbihan), l’installation de pieux perpendiculaires au trait de côte pour freiner le déplacement de sable et stabiliser la plage. Outre le fait que le déploiement de cette ingénierie côtière coûte cher et n’est pas infaillible, ses effets ne peuvent être que limités dans un contexte de récurrence des tempêtes et d’élévation du niveau de la mer. C’est donc aujourd’hui une posture qui doit devenir marginale.

© Serge Suanez

Photo 1 : Enrochement installé en 2017 le long de la Plage de la Grève Rose à Trégastel, suite aux dégâts causés par la tempête en 2008. Ce type d’enrochement ne stoppe pas définitivement l’érosion et ne constitue pas une solution d’adaptation à long terme.

Subir l’élévation du niveau de la mer peut signifier composer et vivre avec le risque, s’y préparer en adaptant le bâti, accepter que des aménagements ne soient pas pérennes. C’est ce que la loi Climat et résilience votée en 2021 valide d’une certaine façon, avec la mise en place du « bail réel d’adaptation au recul du trait de côte » qui n’exclut pas certaines installations sur un littoral vulnérable mais encadre la gestion et l’exploitation de biens situés dans les zones exposées au recul du trait de côte, dans le temps précédant leur disparition programmée. Les exemples de dépoldérisation, qu’ils soient plus ou moins anciens, accidentels ou programmés, témoignent aussi de cette posture. En Bretagne, on connaît les exemples de dépoldérisation sur les communes de Lancieux, de Plurien ou encore celui de l’Aber en Crozon1.

Reculer signifie penser le repli des activités et des aménagements vers l’intérieur du territoire. Cela suppose pour les populations d’accepter la « perte » de terres et de biens ; là où parfois la défense du trait de côte est un élément historique et structurant (par exemple avec la poldérisation pour gagner des terres agricoles et se protéger). En outre, reculer signifie aussi la mobilisation de ressources foncières dans la zone rétro-littorale pour relocaliser les activités (campings, hôtels, commerces, …). Dans cette perspective, tous les territoires sont concernés, même ceux qui ne sont pas en première ligne côtière. Ainsi, élaborer une stratégie foncière va être plus que jamais essentiel pour les intercommunalités qui comptent en leur sein des communes littorales. Pour ces dernières, dans un contexte où la mise en place du zéro artificialisation nette (ZAN) se profile à l’horizon 2050, la difficulté est double : elles perdent d’une part du foncier du fait de l’érosion du trait de côte et voient d’autre part leur enveloppe foncière réglementaire pour se développer être restreinte par le ZAN. La question se pose également pour la reconstitution d’espaces naturels protégés, qui eux aussi peuvent se trouver diminués du fait de l’évolution du trait de côte (exemple de réserves naturelles littorales, des terrains du conservatoire du littoral, etc.).

La connaissance scientifique, un appui pour éviter la maladaptation

En termes d’aménagements du littoral face au changement climatique, on peut définir la maladaptation comme un ensemble de fausses bonnes idées. Par exemple, construire une digue pour protéger des habitations ne fait finalement qu’accroître le niveau de vulnérabilité des populations installées à l’arrière. Ce type d’aménagement peut en outre interagir avec la dynamique côtière en perturbant le transit sédimentaire et en accentuant par endroit le pouvoir d’érosion des vagues. Ainsi, la protection générée par la construction ou le renforcement d’une digue n’est que passagère et le bénéfice à moyen terme est nul. Pire, l’érosion littorale sera accentuée sur la zone ou à proximité, déplaçant ainsi le niveau de vulnérabilité sur les territoires voisins. C’est l’exemple le plus commun de maladaptation au changement climatique sur les littoraux : non seulement le remède ne soigne pas le mal mais il l’accentue.

Ces trois postures (défendre, subir, reculer) coexistent le plus souvent sur un même territoire : il s’agit aujourd’hui pour les décideurs de hiérarchiser les priorités. Ils peuvent s’appuyer sur des recherches scientifiques pour appréhender l’imbrication complexe des différentes composantes des risques. Par exemple, la vision systémique de la vulnérabilité croise l’aléa naturel (érosion ou montée du niveau de la mer) avec les enjeux croissants résultant de la concentration des activités humaines sur le littoral, ainsi qu’avec les représentations (« désir de rivage »), et enfin les mesures de gestion qui peuvent atténuer ou exacerber cette vulnérabilité (figure 1). Ces travaux de recherche ont permis de proposer aux collectivités un accompagnement méthodologique dans le cadre du partenariat Litto’Risques. Ces actions vont s’étendre dans les trois prochaines années grâce à un soutien de la Région Bretagne.

Figure 1 : Description de la vulnérabilité systémique. Source : © Meur-Ferrec

Les acteurs publics peuvent également recourir à des démarches de sciences participatives : « des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels participent de façon active et délibérée »2. Ces approches se multiplient en lien avec l’accélération du numérique qui permet d’utiliser les smartphones comme capteurs physiques, outils de géolocalisation et terminaux de saisie. La participation va de l’acquisition décuplée de données (crowdsourcing), à l’intelligence distribuée, la participation, et la collaboration lorsque les citoyens contribuent respectivement à l’interprétation, à la définition du problème, et à l’ensemble de la démarche. Les protocoles d’observation sont conçus pour être accessibles à des non-spécialistes, peu onéreux et robustes. La densité des observations dans le temps et dans l’espace, et l’intégration de connaissances de terrain sont d’un grand intérêt scientifique. Dans le domaine de l’environnement, la participation est souvent structurée par des associations et des animations scolaires. Elle permet aux citoyens de satisfaire une curiosité naturaliste, d’être plus conscient des enjeux et des changements, de changer de comportement, d’être pro-actifs et vigilants.

Les problématiques du littoral sont propices aux sciences participatives. Ainsi, les citoyens participent au suivi du trait de côte grâce à l’observatoire morbihannais OCLIM qui intègre le dispositif photographique international CoastSnap et l’application de tracés GPS et photographiques Rivages du CEREMA. De même, CoastAppli a permis des suivis du trait de côte par des scolaires. D’autres exemples concernent la qualité des eaux côtières : plateforme de signalement Phenomer de phénomènes d’eaux colorées dus aux proliférations de microalgues, ou suivi participatif Ecoflux de la qualité chimique et biologique de quelques cours d’eau du continuum terre-mer.

© Laboratoire Geo-Ocean - Université Bretagne Sud

Photo 2 : Dispositif photographique de suivi du trait de côte par les citoyens (CoastSnap), prise de vue depuis l’est de la plage de la Falaise à Guidel Plage. © Laboratoire Geo-Ocean – Université Bretagne Sud


  1. Dèbre C. et al, 2023,  https://doi.org/10.4000/geocarrefour.22583, Dèbre C. et al, 2022. https://revue-set.fr/article/view/7434 ↩︎
  2. Houllier F., Merilhou-Goudard J.B., 2016. https://doi.org/10.1080/02626667.2020.1849707 ↩︎