Les tempêtes en Bretagne : quelle évolution ?

image tempête Ciaran

En novembre 2023, les tempêtes Ciaran et Domingos ont provoqué en Bretagne plusieurs centaines de millions d’euros de dégâts sur les réseaux, les infrastructures, les bâtiments et les arbres. Rappelons toutefois que ces répercussions socio-économiques restent inférieures à celles de « l’ouragan » de 1987 et que l’indice de sévérité national des tempêtes publié par Météo-France place ces deux évènements en dessous des records de Martin et Lothar (décembre 1999) ou de Xynthia (février 2010). Pour savoir si le changement climatique va intensifier et rendre plus fréquentes les tempêtes à venir, il convient de comprendre d’où viennent celles qui frappent la Bretagne et comment ont-elles évolué ces dernières décennies.

D’où viennent les tempêtes ?

Une tempête correspond au degré 10 sur l’échelle de Beaufort, c’est-à-dire des vitesses de vent supérieures à 89 km/h. Ces vents violents se forment avec le creusement des dépressions, la vitesse du vent étant proportionnelle au gradient de pression. Les tempêtes associées aux dépressions qui frappent la Bretagne prennent naissance sur l’Atlantique nord, au sud du Groenland, d’où le minimum dépressionnaire très souvent centré sur l’Islande. Les dépressions tirent leur énergie de la rencontre d’air chaud venant des latitudes subtropicales et d’air froid descendant du pôle. La genèse des fronts et le tourbillonnement cyclonique des vents (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord) ont été décrits il y a un siècle par l’école norvégienne de météorologie. Des observations plus récentes ont montré que le creusement d’une dépression dépend aussi beaucoup du phasage entre les tourbillons d’altitude et ceux de la basse atmosphère, ces derniers correspondant parfois à d’anciens cyclones tropicaux repris par la circulation d’ouest.

Les conditions favorables (jet d’ouest rapide en altitude et fort contraste thermique en latitude) sont plus fréquentes en hiver ce qui explique la plus forte fréquence des tempêtes pendant cette saison… sans qu’elles soient impossibles en été comme lors du drame du Fastnet le 4 août 1979 ! Si d’énormes progrès ont été réalisés depuis plusieurs décennies grâce à la modélisation numérique et aux données satellites (figure 1), il reste encore beaucoup à faire pour comprendre et anticiper l’évolution de ces phénomènes.

Image satellite tempête Ciaran

Figure 1 : La tempête Ciaran vue par le satellite Meteosat le 2 novembre 2023 à 10h UTC. Les nuages les plus froids et épais sont en blanc et cyan, les nuages bas en rose et vert. Le front météorologique principal est positionné de l’Espagne à l’est de la France, le centre de la dépression (vortex) sur la région de Londres. La Bretagne nord est encore sous couvert nuageux tandis que la Bretagne sud est passée dans le ciel de traîne. Source : https://eoportal.eumetsat.int

Une forte variabilité interannuelle

Si les mécanismes généraux sont bien connus, chaque tempête bretonne présente ses particularités en termes d’intensité et de trajectoire : certaines se forment très proches de nos côtes, d’autres plus au large sur l’océan, certaines passent sur la région, d’autres restent à distance. Un inventaire détaillé a été réalisé par Météo-France dans son article « Tempêtes et submersion marine : le projet VIMERS » et des fiches sont également consultables sur le site de la DREAL . La figure 2 ci-dessous reprend quelques épisodes marquants ayant touché la région depuis 1987.

Figure 2 : sept tempêtes majeures ayant touché la Bretagne depuis 1987. Pour chaque tempête sont indiqués : la trajectoire (flèche), l’indice de sévérité (SSI) de Météo-France, la pression atmosphérique la plus basse observée (en hectopascal) et la plus forte vitesse de vent mesurée en kilomètres heure (avec le code du département concerné). ©HCBC.

Au-delà de cette variabilité interannuelle, il est difficile d’établir des tendances significatives sur l’évolution passée des tempêtes. Sur l’Atlantique nord, la variabilité semble en partie pilotée par la NAO (Oscillation Nord Atlantique), c’est-à-dire le gradient de pression entre l’Islande et les Açores (ou Gibraltar). Or, cet indice connaît une forte variabilité décennale entre des phases de haute et de plus faible intensité. En phase positive de la NAO comme dans les années 1980-1990 (figure 3), le régime d’ouest est plus marqué avec des hivers plus doux, pluvieux et venteux en Bretagne. Dans les années 2000, les phases négatives de la NAO se sont traduites par une moindre fréquence des tempêtes et il est trop tôt pour conclure sur la légère reprise observée depuis 2016.

Figure 3 : Tempêtes et NAO en Bretagne de 1980 à 2021. Les barres en vert représentent le nombre de tempêtes caractéristiques (Météo-France) ayant touché la Bretagne et la courbe en bleu la moyenne glissante sur 5 ans (échelle de gauche). En rouge la courbe lissée de l’indice NAO (Oscillation Nord Atlantique, échelle de droite) : l’indice positif signifie un fort gradient de pression entre l’Islande et Gibraltar et inversement. Sources : http://tempetes.meteo.fr/ et https://crudata.uea.ac.uk/cru/data/nao

Une évolution future incertaine mais préoccupante

La diversité des événements, la forte variabilité interannuelle rendent difficiles de prévoir comment évolueront les tempêtes dans le futur. En première approche, on peut mettre en avant qu’une atmosphère plus chaude est une atmosphère qui peut contenir plus d’eau (très schématiquement +7% d’humidité en plus pour 1 degré supplémentaire), donc potentiellement plus instable et susceptible de générer des évènements de plus forte intensité. Ce mécanisme explique pourquoi on s’attend dans le domaine tropical, avec des océans plus chauds, à des cyclones de plus forte intensité.

Mais aux latitudes moyennes, l’intensité des systèmes dépressionnaires dépend d’un plus grand nombre d’éléments : gradients de pressions et de températures, position plus septentrionale et ralentissement du courant-jet, variabilité de la NAO sont autant de facteurs qui rendent plus complexe l’établissement de liens entre réchauffement climatique et tempêtes sur la région. Par ailleurs, la résolution des modèles est encore aujourd’hui insuffisante pour comprendre tous les mécanismes favorables au déclenchement des tempêtes les plus intenses.

Enjeu régional majeur, les tempêtes sont un problème particulièrement préoccupant pour les littoraux exposés aux vents les plus violents mais aussi au train de houle généré sur l’océan par les vents, les vagues de déferlement et les surcotes liées aux basses pressions. La conjonction avec de forts coefficients de marée (par exemple 1,5m de surcote à Brest lors du passage de Ciaran avec un coefficient de marée de 73) rend alors plus difficile, dans les estuaires, l’évacuation des eaux de crue consécutives aux fortes précipitations qui accompagnent généralement le passage des dépressions. Au total, malgré les incertitudes qui pèsent sur l’évolution future de ces aléas tempétueux, la forte exposition et la forte vulnérabilité de nos littoraux au changement climatique sont bien établies et ces effets ne pourront donc que s’aggraver avec la remontée du niveau des mers.