Le niveau de la mer : à quand deux mètres de plus en Bretagne ?

Le niveau moyen de l’océan global a augmenté de 11 cm entre 1971 et 2018. En Bretagne, le niveau de la mer monte à peu près à la même vitesse : environ 20 cm mesuré au marégraphe de Brest depuis 1850, avec une hausse plus marquée de 13 cm environ depuis 1970. De combien cela peut-il encore augmenter à l’avenir, et à quel rythme ?

La fonte des glaces polaires, grande cause d’incertitude

Même quand nous cesserons d’émettre des gaz à effet de serre, le niveau de la mer continuera à monter pendant des siècles : c’est en quelque sorte un processus « à retardement ». Pour comprendre la lenteur de l’évolution du niveau de la mer, il faut s’intéresser aux causes principales de cette montée. Sur la période 1971-2018, elle est due à la fonte des glaciers de montagne (22%), à la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique (20%), mais surtout au réchauffement global de l’océan (50%)1. En effet, quand l’océan se réchauffe, il se dilate et occupe davantage de volume, ce qui cause une montée du niveau de la mer. Or, les anomalies de chaleur générées à la surface de l’océan par le changement climatique pénètrent en profondeur de manière très lente : il faut des siècles pour propager ces anomalies chaudes dans tous les bassins océaniques. Si nous respectons l’accord de Paris, et limitons la hausse de la température de surface à 2°C, l’océan profond ne sera pas immédiatement à l’équilibre : il continuera à se réchauffer en profondeur et à se dilater pendant des siècles, voire des millénaires, entraînant la poursuite de la montée du niveau de la mer.

Dans les prochaines décennies, le volume des glaciers de montagne ayant déjà considérablement diminué, la fonte des calottes glaciaires deviendra encore plus déterminante pour la montée du niveau de la mer. C’est un processus très progressif, et encore mal quantifié pour les glaces profondes (qui réagissent à plus long terme), mais les observations récentes montrent une accélération de l’écoulement des glaciers périphériques vers l’océan (figure 8). Si leur écoulement est principalement freiné par leur frottement sur la base rocheuse, une partie des glaciers est au contact à sa base avec de l’eau de mer : or les eaux océaniques de plus en plus chaudes participent à la fusion des glaces basales, et l’écoulement et la fonte s’accélèrent en conséquence

Figure 8 : La masse des calottes glaciaires mesurée précisément par satellite depuis 20 ans. La perte de masse de glace est la plus forte sur le pourtour du Groenland et de l’Antarctique. La fonte s’accélère : sur 2006-2018 elle a contribué pour 27% à la montée du niveau de la mer global2. Source : NASA and JPL/Caltech, U.S.A.

Les données paléoclimatiques permettent de mettre en perspective les évolutions en cours. Ainsi, il faut remonter à 3 millions d’années pour avoir une température globale de 3°C de plus que l’actuelle et une teneur en CO2 atmosphérique supérieure à 400 ppmv: le niveau de la mer était alors 5 à 25 mètres plus élevé que maintenant3. La fonte de toutes les glaces continentales permanentes correspondrait, quant à elle, à une montée du niveau de la mer de 65 mètres4, comme il y a 100 millions d’années, au temps des dinosaures.

Le niveau de la mer va monter dans le futur, c’est inéluctable

Avec un réchauffement limité à 2°C, le niveau de la mer augmentera de 2 à 6 m sur un temps long (2000 ans) et continuera à monter lentement pendant les milliers d’années qui suivront, jusqu’à environ 10 m. Si le réchauffement global se stabilise à 4°C, le niveau de la mer augmentera de 12 à 16 m en 2000 ans et jusqu’à plus de 20 m dans les millénaires qui suivront.

La question n’est donc pas de savoir si le niveau de la mer montera de 2 m par rapport au niveau actuel (c’est une certitude), mais quand ce niveau sera atteint : au cours du siècle prochain ou au cours du suivant ? Ce rythme de montée dépend fondamentalement de nos émissions de gaz à effet de serre, et donc de nos choix de société.

Le respect de l’accord de Paris permettrait de retarder l’échéance des 2 m au-delà de l’an 2300, dans trois siècles ou plus. Un tel rythme de montée du niveau de la mer laisserait aux sociétés le temps de se replier peu à peu vers l’intérieur, et permettrait d’utiliser la plupart des infrastructures installées sur le littoral jusqu’à la fin de leur durée de vie. Par contre, dans un scénario où les émissions continueraient à augmenter rapidement, ce niveau de 2 m pourrait être atteint peu après 2150. Dans son dernier rapport, le GIEC rappelle même qu’on ne peut exclure une fonte encore plus accélérée, un scénario incertain mais physiquement plausible, qui conduirait à une hausse de 2 m dès 2100 !

Une réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre est donc nécessaire pour laisser le temps au littoral breton et à ses habitants de s’adapter très progressivement et sur plusieurs générations à la montée inéluctable du niveau de la mer et « éviter l’ingérable ». Toutefois, comme les émissions de gaz à effet de serre ne dépendent pas que des décisions régionales et nationales (la COP28 a montré la volonté des pays producteurs de gaz et pétrole de poursuivre leurs activités), il est également nécessaire d’adapter nos ports et infrastructures littorales à des hypothèses réalistes de montée du niveau de la mer, en intégrant de surcroît les impacts d’événements extrêmes de type Xynthia (surcote de plus d’un mètre sur les côtes vendéennes), qui deviendront eux même plus fréquents.


  1. IPCC (GIEC), 2021 chapitre 9, table 9.5. Les 8% restants sont dus à la diminution du stockage d’eau sur les continents (baisse des niveaux des nappes phréatiques et barrages) ↩︎
  2. IPCC (GIEC) 2021, chapitre 9 ↩︎
  3. IPCC (GIEC) 2021, Chapitre 1, FAQ 1.3 ↩︎
  4. Ce chiffre de 65 m concerne uniquement l’effet du volume d’eau ajouté à l’océan, sans compter la dilatation et autres facteurs (IPCC 2021, chapitre 9, FAQ 9.1) ↩︎