La dynamique de recul du littoral breton

Le littoral est l’une des zones les plus mobiles de la planète où terre et mer jouent un “pas de tango” permanent, avec des successions d’avancées et de reculs de la limite entre les deux. Le littoral est aussi un espace habité, et même très habité avec des densités de bâti et de population élevées. Comment gérer un espace aussi naturellement mobile est une vraie question pour nos sociétés qui doit s’appréhender aussi à l’aune de notre connaissance sur la dynamique de ces milieux. Quelles sont les causes, les temporalités et les évolutions de ces dynamiques naturelles littorales et quelles sont les évolutions possibles associées au changement climatique ?

La limite naturelle entre la terre et la mer évolue avec :

  • Le niveau de la mer ;
  • La topographie terrestre ;
  • Les apports en sédiments, généralement des sables qui proviennent de la mer ou des fleuves ;
  • L’érosion de la terre par des agents marins ou terrestres.

Ces quatre phénomènes ont des causes et des vitesses différentes. Les deux premiers évoluent en moyenne plutôt lentement avec des variations verticales de l’ordre de quelques millimètres, voire centimètres, par an.

La variation du niveau de la mer est induite par le stockage ou déstockage d’eau douce sur les continents (en particulier les glaces polaires) et par l’expansion ou la contraction thermique de l’océan. Après la sortie du dernier maximum glaciaire, le niveau de la mer est monté d’environ 100 mètres en moins de 10 000 ans. Depuis 8 000 ans, le niveau s’est plus ou moins stabilisé avec des variations locales liées aux mouvements de la croûte terrestre. Mais le changement climatique induit par les activités humaines a bouleversé ce scénario : la mer remonte depuis l’ère industrielle à une vitesse de l’ordre de 1 à 4 millimètres par an, à des vitesses comparables aux phénomènes géologiques.

Concernant la topographie terrestre, il convient de rappeler que la terre elle-même monte, descend, voire avance, sous l’effet de trois grands phénomènes géologiques : la tectonique des plaques, les flexions induites par les variations des masses qui pèsent sur la croûte terrestre, notamment les variations des glaciers continentaux, et les effets de tassement induits par l’altération ou l’exploitation du sous-sol. La Bretagne n’est épargnée par aucun de ces trois phénomènes :

  • Elle est tectoniquement active avec une sismicité certes modérée mais significative, notamment le long des grandes fractures qui traversent le Massif armoricain. Cela induit des mouvements verticaux non négligeables de l’ordre du millimètre par an.
  • Elle est aussi affectée par des mouvements verticaux causés par la fonte des calottes glaciaires qui s’étendaient au dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, jusqu’au milieu de l’Angleterre1.
  • Enfin, elle n’est potentiellement pas épargnée par un tassement de son sous-sol. Ce dernier phénomène est local, principalement lié à l’exploitation du sous-sol par les mines ou les pompages d’eau souterraine. Même si on ne s’attend pas en Bretagne à rencontrer des subsidences d’une dizaine de mètres en une décennie comme il a été mesuré en Californie, le phénomène peut être localement significatif en fonction de la nature du sous-sol et de son exploitation. A Brest, des valeurs de près d’1 mm par an ont été mesurées près du pont de Recouvrance.

Ces trois phénomènes se traduisent par une variation relative de la terre par rapport à la mer. Sur le dernier million d’années, la partie de la Bretagne à l’Ouest de la ligne géologique qui va de Quessoy à Nort-sur-Erdre est en surrection (montée) de 0.1 à 1 mm par an, la partie orientale restant à peu près stable. Cette différence explique la topographie plus élevée à l’Ouest qu’à l’Est et l’existence de nombreuses falaises côtières, certaines culminant à 50 m. Les données de nivellement semblent montrer la même tendance dans le Finistère, avec des vitesses de surrection de l’ordre de 1 mm par an. Toutefois, elles sont remises en question par les dernières analyses GPS et satellitaires qui semblent concorder avec les analyses effectuées au Sud de l’Angleterre : la Bretagne pourrait dorénavant être en subsidence (descente) d’une fraction de mm par an, ce qui accentue d’autant la montée du niveau de la mer.

En termes de littoral, on constate ainsi aujourd’hui que la mer progresse sur la terre presque partout, ce qui induit presque systématiquement une érosion de la côte. La manière dont ce phénomène va évoluer dépendra toutefois beaucoup de la nature géologique du littoral impacté. Les plages de sable, qui constituent 18 % du linéaire côtier breton, reculent par exemple davantage sous l’effet de la montée (relative) de la mer, et la règle de Bruun2 prédit un recul de la côte d’autant plus important que la pente de la plage est faible.

Photo 1 : Erosion de dune en baie d’Audierne, ©Philippe Davy

Comme évoqué précédemment, la question de l’érosion côtière ne se limite pas à une variation relative de la mer par rapport à la terre. L’océan est aussi le plus efficace des agents d’érosion, capable de :

  • Déplacer très rapidement, en quelques épisodes de tempête, des masses de sable colossales et des blocs de granite de plusieurs dizaines de tonnes sur plusieurs dizaines de mètres.
  • « Grignoter » le continent plus rapidement que l’érosion « terrestre », ce qui conduit à la formation de falaises verticales.
  • Créer des plateformes d’abrasion marines plates sous une faible hauteur d’eau.

Ces phénomènes sont intenses mais épisodiques, leur énergie étant liée à la puissance des vagues qui s’intensifie pendant les tempêtes. La combinaison d’une tempête et d’une grande marée est un facteur démultiplicateur parce qu’elle cumule les deux moteurs les plus importants de l’érosion côtière : une avancée de la mer sur la terre et une énorme énergie érosive. Les vitesses d’érosion ou de transfert sédimentaires peuvent alors atteindre plusieurs mètres en quelques heures, avec un bilan sur le long terme qu’il est toujours difficile d’évaluer mais dont les études montrent qu’il dépend énormément des conditions locales en termes de courants, de vagues, d’évolution des stocks sédimentaires, mais aussi d’aménagements du domaine côtier. En effet, lorsqu’ils se déposent, les sédiments protègent les zones érodées et diminuent l’érosion. Si le stock de sédiments diminue ou si les sédiments ne peuvent plus être déplacés, la conséquence sera une augmentation de l’érosion à l’endroit où ils auraient pu se déposer. Le problème a été identifié par de nombreuses études scientifiques qui pointent le rôle négatif des barrages sur les fleuves ou des protections littorales dans l’augmentation de l’érosion côtière.

Figure 1 : Evolution du trait de côte en Bretagne. Source : Cerema et MEDDE, 2016, https://bretagne-environnement.fr/donnees-evolution-trait-cote-bretagne

En résumé, les côtes bretonnes n’échappent pas à l’érosion (figure 1) : sur 2000 km de côtes non artificialisées, 400 km sont actuellement en recul avec localement des vitesses parfois supérieures à 0,5 m par an. Le phénomène n’est pas linéaire : on observe une alternance de périodes stables voire d’avancée du trait de côte, que les scientifiques relient aux mouvements de transferts de sédiments de la mer vers la terre si les stocks maritimes sont suffisants, et de périodes de reculs rapides liés à la fréquence des tempêtes.

Le changement climatique, avec une montée du niveau de la mer et une possible augmentation de l’intensité des tempêtes, est bien évidemment un facteur important d’augmentation de l’érosion côtière. Le rapport du GIEC de 2022 décrit le risque d’une érosion côtière accélérée comme avéré (high confidence) mais avec de nombreuses incertitudes. Contrairement aux évolutions du niveau de la mer qui sont bien documentées et modélisées, il est difficile d’avoir une vision globale et de long terme du phénomène d’érosion des côtes, d’une part parce qu’il est encore mal quantifié et d’autre part parce qu’il dépend de nombreux facteurs locaux d’ordre hydrodynamique (courants), aérodynamique (direction des vents) mais aussi géologique (topographie du continent, vitesses de surrection ou de subsidence). Les rapports successifs du GIEC notent d’ailleurs qu’« il est encore difficile d’attribuer l’évolution du littoral au changement climatique en raison des multiples facteurs naturels et anthropiques qui contribuent à l’érosion côtière »18.

Photo 2 : Après le passage de Ciaran, à Sarzeau. © Florence Gourlay

Cela dit, les conséquences du changement climatique sont encore à venir : plus la mer montera, plus la terre reculera, c’est mathématique. Verra-t-on les plages de sable disparaître en Bretagne comme ailleurs ? Cette question posée par la communauté scientifique illustre bien les enjeux non seulement à s’adapter aux conséquences du changement climatique mais aussi à en limiter l’amplitude.


  1. Le rebond postglaciaire correspond à une remontée de la croûte terrestre après la fonte des glaces. A cause des propriétés élastiques de la croûte terrestre, cette déformation a la géométrie d’une ondulation centrée sur l’ex-calotte : la partie centrale monte et le pourtour descend ou monte en fonction de la distance au centre. ↩︎
  2. Per Moller Bruun avait observé que le sable se transférait de la partie émergée de la plage vers la partie immergée pour maintenir une hauteur d’eau constante près de la côte. Même si elle est très débattue, la règle de Bruun reste une référence scientifique pour l’évaluation du recul des côtes en lien avec la montée du niveau de la mer. ↩︎