Chaleur et sécheresse : impacts sur la faune et la flore bretonnes

En 2022, la sécheresse et les épisodes estivaux de forte chaleur ont mis sous tension de nombreux organismes vivants participant à la beauté du patrimoine breton ou rendant des services écosystémiques à nos territoires. Retour sur les menaces que fait peser le changement climatique sur la biodiversité bretonne et sur quelques solutions fondées sur la nature pour aider le vivant à s’adapter.

Des plantes rares menacées par les incendies

L’une des manifestations les plus spectaculaires de la sécheresse et des fortes températures observées en 2022 est sans conteste la multiplication des feux de forêts et de landes, qui ont endommagé près de 400 hectares (ha) aux portes de la forêt de Brocéliande (Morbihan) et plus de 2000 ha remarquables dans les Monts d’Arrée (Finistère). Pour rappel, les monts d’Arrée abritent environ 7000 ha de landes et de tourbières, soit plus du tiers des landes et tourbières de Bretagne1.

Même s’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact sur le moyen terme de ces incendies, certaines stations de plantes rares et menacées ont été touchées, notamment le Lycopode sélagine (Huperzia selago) et l’orchidée Malaxis des tourbières (Hammarbya paludosa). Les populations de ces deux espèces à affinités montagnardes ont trouvé refuge dans le microclimat frais et humide des monts d’Arrée. Les incendies, mais surtout l’accentuation des périodes de sécheresse, constituent une menace pour leur survie en Bretagne.

Photo 1 : Hammarbya paludosa, une espèce patrimoniale des Monts d’Arrée, site Natura 2000 ravagé par les incendies de 2022. ©Adrien Chateignier

Un été chaud pour les organismes marins et terrestres

Les vagues de chaleur estivales et la longue période de sécheresse en 2022 ont affecté une large diversité d’organismes animaux et végétaux. Ainsi, la récolte des moules de bouchots de la baie du Mont-Saint-Michel, vendues sous Appellation d’origine protégée (AOP), a dû être reportée de près d’un mois en raison de leur retard de croissance, afin d’atteindre un calibre commercialisable2. Selon les producteurs, ce retard de croissance résulte des faibles débits observés dans les cours d’eau dont les apports en matière organique contribuent à fournir les éléments nutritifs nécessaires. On imagine sans peine que de nombreux autres organismes filtreurs qui ne font pas l’objet d’une exploitation commerciale, ainsi que ceux qui en dépendent (prédateurs) ont également été touchés. Les chauves-souris ont aussi souffert des vagues de chaleur qui se sont succédé au cours de l’été. Les gîtes exposés et peu ventilés (combles, greniers,…) se sont transformés en « fours » au cours de ces épisodes. Des abandons de gîte, des déplacements d’animaux, des mortalités exceptionnelles etc…, ont été observés3 : ce phénomène a alerté les spécialistes sur les risques liés à l’accroissement prévu de la fréquence de ces épisodes climatiques et une réflexion est en cours sur les mesures à préconiser en termes d’aménagement des gîtes.

Les effets complexes du changement climatique sur les insectes

Les insectes font partie des ectothermes, ils ne produisent pas de chaleur interne et dépendent des sources extérieures de chaleur pour augmenter leur température corporelle. Ils sont donc particulièrement impactés par l’augmentation des températures, principalement en hiver, et par l’augmentation, en nombre, durée et intensité des vagues de chaleur.

L’augmentation des températures moyennes entraîne une réduction de la durée de développement des insectes, se traduisant par une faible taille des adultes pouvant entraîner une réduction de leur longévité et de leur fécondité. En conséquence, le nombre de générations annuelles peut augmenter chez les espèces se reproduisant plusieurs fois par an, entraînant des risques de pullulations d’insectes ravageurs comme les pucerons. Les comportements sont aussi modifiés. Une température plus élevée rend les insectes plus actifs, et plus rapides dans leurs mouvements. Les insectes prédateurs (comme par exemple les fourmis) peuvent ainsi capturer plus de proies par unité de temps.

Perturbation des chaînes alimentaires et des périodes de pollinisation

Un autre effet majeur porte sur les modifications de phénologie (c’est-à-dire les éléments périodiques prédéterminés par les variations saisonnières). Par exemple, des températures plus élevées entraînent une migration printanière des pucerons plus précoce. Il a été démontré qu’elle a avancé de près d’un mois entre 1978 et 2015 en France. De même, pour plus de 2000 espèces de pollinisateurs européens, la date moyenne de vol a avancé à un rythme de 1 jour/décennie au cours des 60 dernières années. Ces évolutions peuvent modifier les interactions entre espèces d’une même chaîne alimentaire (plantes, insectes phytophages, insectes prédateurs, oiseaux, par exemple). Les interactions entre espèces sont généralement bien synchronisées et co-évoluent dans un environnement particulier et dans des conditions climatiques relativement stables. Ainsi, les insectes qui se nourrissent des feuilles d’une espèce d’arbre émergent au moment où les bourgeons de cet arbre débourrent. Les œufs des oiseaux qui nourrissent leurs petits de chenilles éclosent au moment du pic d’abondance de leurs proies. Or, le plus souvent, les changements de température affectent différemment la biologie de chacune des espèces constitutives d’une chaîne alimentaire. Par exemple, les pollinisateurs peuvent commencer à voler alors que les plantes dont ils se nourrissent ne sont pas encore en fleurs, entraînant des conséquences néfastes à la fois pour eux et les espèces qu’ils pollinisent.

« On le voit, les effets du changement climatique sur les insectes de notre région sont multiples, ce qui rend difficile la prédiction de l’augmentation ou de la réduction des populations d’une espèce donnée. »

Par ailleurs, de nombreuses espèces d’insectes présentent une émergence printanière retardée en raison d’un refroidissement hivernal insuffisant pour mettre fin à la diapause. La diapause hivernale permet normalement aux insectes de passer l’hiver sous une forme inactive résistante au froid (œufs par exemple). Mais la forte diminution des jours de gel et sans dégel en Bretagne (figure 1) a entraîné le maintien de l’activité hivernale chez de nombreuses espèces de pucerons, coléoptères (par exemple les carabes et les staphylins) et insectes parasitoïdes, par exemple certaines larves de guêpes qui se développent en parasites dans d’autres insectes et entraînent leur mort. Entre 2010 et 2020, dans les champs de céréales autour de Rennes, la poursuite d’une activité hivernale a été mise en évidence chez plusieurs espèces de pucerons et de leurs ennemis naturels4. Du fait de la persistance du contrôle biologique tout au long de l’hiver, les pullulations printanières de pucerons sont plus rares que dans les régions continentales aux hivers plus rigoureux avec des périodes de gel prolongé (comme en République Tchèque, par exemple). Enfin, les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et intenses en Bretagne ont de multiples effets sur les insectes. Il s’agit d’un stress de durée limitée, mais pouvant entraîner une forte mortalité ou réduire considérablement leur longévité et leur fécondité. Ce phénomène peut être très dommageable lorsque ces stress affectent les insectes utiles comme les pollinisateurs ou les ennemis naturels des ravageurs des cultures.

Figure 1 : Evolution du nombre de jours sans dégel (température maximale quotidienne inférieure à 0°C) à Rennes. Source des données : Météo-France. ©HCBC.

On le voit, les effets du changement climatique sur les insectes de notre région sont multiples, ce qui rend difficile la prédiction de l’augmentation ou de la réduction des populations d’une espèce donnée. On peut cependant aider les insectes à résister aux stress engendrés par le changement climatique.

Favoriser la lutte contre les ravageurs des cultures grâce aux fleurs

En Bretagne, le réchauffement des hivers favorise le fleurissement des plantes utilisées comme couverts hivernaux et qui ne gèlent pas si les températures ne descendent pas au-dessous de -5°C (photo 2). Ces couverts sont retournés en fin d’hiver (début mars) avant la mise en place d’une culture de printemps (en général de maïs). Les couverts hivernaux fleuris ouvrent une opportunité pour favoriser la biodiversité en zone de grandes cultures comme le bassin rennais. En effet, les couverts ou bandes fleuries sont connus pour leurs impacts positifs sur les ennemis naturels des insectes ravageurs des cultures. Les ennemis naturels incluent des prédateurs comme les coccinelles, carabes ou araignées et des insectes parasitoïdes qui pondent à l’intérieur des ravageurs des cultures et entraînent leur mort (photo 3).

Les couverts fleuris constituent un habitat plus stable et aux conditions microclimatiques (température et humidité) plus favorables que celles rencontrées dans les cultures. Ces habitats favorisent la survie et l’hivernation de nombreuses espèces d’ennemis, ainsi que leur recolonisation des zones cultivées au printemps. En effet, de nombreux arthropodes participant au contrôle biologique hivernent à l’extérieur des cultures. Les zones d’abris offrent aussi une protection contre les prédateurs ou encore contre les perturbations agricoles (récoltes, labour ou épandages). Les bandes fleuries fournissent aussi du nectar, qui peut être utilisé par différents ennemis naturels incluant les insectes parasitoïdes pour se nourrir (photo 4).

Photo 4 : Femelle de parasitoïde en train de se nourrir de nectar sur une fleur de sarrasin. ©Bernard Chaubet

Augmenter la biodiversité végétale dans tous les endroits possibles, que ce soit en zone agricole ou urbaine fait donc partie des stratégies d’adaptation fondées sur la nature. En effet, une végétation haute, avec plusieurs strates (haie accompagnée d’une zone herbacée ou fleurie), permet le maintien d’une température plus homogène, et la présence de fleurs offre des ressources alimentaires à de nombreuses espèces d’insectes (et plus particulièrement aux pollinisateurs et aux parasitoïdes). Ces fleurs sont importantes toute l’année, en automne-hiver pour nourrir les individus qui sont maintenant actifs, ainsi qu’en été pour leur permettre de résister aux stress thermiques chauds de plus en plus intenses et fréquents.


  1. Conservatoire national Botanique de Brest, carte des grands types de végétation en Bretagne ↩︎
  2. France 3 régions info, Les moules de bouchot de la Baie du Mont-Saint-Michel absentes des étals ↩︎
  3. Dubos, T. (2022), Coup de chaud sur les chauves-souris cet été. Mammi Breizh, N°41, GMB, P7. ↩︎
  4. Tougeron et al. (2018). https://doi.org/10.3389/fevo.2018.00173 ↩︎