Les milieux côtiers sont des zones très productives, abritant une grande diversité d’organismes vivants. Ces espaces constituent des zones de reproduction de nombreuses espèces de poissons et de mollusques, et des zones importantes de nourrissage pour de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères. Dans le contexte du changement climatique global, ces habitats très divers sont soumis à une acidification et à un réchauffement de l’eau de mer plus ou moins marqués selon le scénario vers lequel nous nous orienterons. Ces effets majeurs seront accompagnés par d’autres phénomènes, comme une diminution de l’oxygène de l’eau de mer et une accentuation de la houle. Les eaux côtières, qui connaissent déjà de fortes variations de pH et de température en raison de l’hydrogéologie et des activités humaines, verront ainsi ces variations amplifiées par le changement climatique.
L’acidification impacte les organismes calcifiants, en particulier les jeunes stades
L’acidification des océans est liée à la dissolution du CO2 atmosphérique dans les océans. Sur la dernière décennie, 29% des émissions totales de CO2 ont en effet été absorbées par les océans1 et ce mécanisme n’est pas sans conséquence pour le milieu marin puisqu’il entraîne un déséquilibre dans la chimie des carbonates et une acidification progressive de l’eau de mer. En fonction du scénario climatique, une diminution du pH de l’eau de mer de 0,1 à 0,3 serait observée d’ici 2100, correspondant à une augmentation de l’acidité de l’eau de mer de 30% à 200%. Les conséquences les plus importantes seront probablement observées pour les organismes calcifiants qui élaborent leur structure calcaire (coquille ou squelette) à partir des carbonates présents dans l’eau de mer, se déplaçant peu et ayant un cycle de vie long, comme les huîtres plates ou les ormeaux vivants en milieu côtier breton. Pour ces animaux, une dégradation de la coquille a été mise en évidence au stade adulte, les rendant potentiellement plus fragiles lors des attaques de prédateurs, ainsi qu’une baisse de l’investissement dans la reproduction. Les conséquences les plus préjudiciables pour ces organismes calcifiants sont cependant observées au stade larvaire, avec des déformations importantes et une forte mortalité (figure 1).
Figure 1 : Déformation des larves soumises à un pH de l’eau de mer inférieur de 0,3 unité par rapport au pH actuel. Cette baisse du pH correspond à la diminution possible d’ici 2100 si les émissions de gaz à effet de serre continuent sur la même pente d’émission qu’actuellement. © MNHN Station marine Concarneau.
Un réchauffement pouvant impacter les espèces situées en limite de résistance thermique
Plus de 90% de l’énergie thermique excédentaire liée à l’effet de serre additionnel dans l’atmosphère a été absorbée par les océans depuis 1970. Par rapport à la période 1986-2005, une augmentation de presque 3°C de la température moyenne de la mer pourrait être observée d’ici 2100 si nous continuons sur la même pente d’émissions qu’actuellement2. En plus de cette augmentation de la température moyenne de l’eau, des vagues de chaleur marines comparables ou supérieures à celles de 2023 seront aussi observées de plus en plus fréquemment. Les conséquences des vagues de chaleur sont déjà observées à travers le monde pour les organismes se trouvant en limite de tolérance physiologique, entraînant de fortes mortalités d’organismes marins et une modification des aires de répartition. Par exemple en Bretagne, une grande algue brune très courante sur la côte, caractérisée par un crampon très épais, Saccorhiza polyschides, pourrait voir son aire de répartition très fortement réduite si les émissions actuelles de CO2 n’étaient pas fortement diminuées3. Elle serait probablement remplacée en milieu intertidal par une algue moins sensible à la chaleur comme Laminaria ochroleuca4. En plus de ces effets directs, l’augmentation de la température de l’eau de mer favorise le développement de certaines maladies en modifiant les relations hôte-pathogène-environnement. Des mortalités allant jusque 80% pour l’ormeau ont été observées dès la fin des années 1990 entre St Malo et St Brieuc avec le développement d’une bactérie Vibrio harveyi lorsque la température de l’eau a dépassé 18°C. Les populations des zones du Finistère, pour l’instant épargnées, pourraient être touchées si la température estivale de l’eau dépassait également 18°C.
Photo 1 : Plongeur du LEMAR (Laboratoire des sciences de l’environnement marin) sous la filière de Saccharina latissima située à l’Aber Wrach positionnant une sonde pour effectuer un suivi de conditions physico-chimiques. ©Erwan Amice.
Des effets combinés peu connus
En l’état actuel des connaissances, il est difficile de savoir si la température et le pH vont agir sur les organismes marins de manière additive (effets négatifs cumulés), synergétique (effets négatifs cumulés plus forts que l’addition de chaque effet), antagoniste (effet d’un agent stressant réduisant partiellement l’effet d’un autre agent stressant), ou en lien avec d’autres facteurs environnementaux (épisodes de chute en oxygène, de pollution ou de variations de salinité, fréquemment rencontrés en milieu côtier). Les recherches actuelles permettent de tester un ou deux facteurs environnementaux en condition de laboratoire, mais l’évaluation devient très vite complexe pour un nombre plus important de facteurs. De plus, les approches sont souvent centrées sur un seul organisme vivant. L’évaluation des effets des changements climatiques à l’échelle des communautés et des écosystèmes et de la complexité des systèmes naturels, est très rarement conduite en laboratoire car elle demande des moyens considérables. Pour l’instant, les scientifiques ont peu de recul, mais la dégradation de la biodiversité marine observée depuis plusieurs décennies suggère que cette érosion de la biodiversité devrait s’accentuer si le changement climatique se poursuit ainsi.
Un impact sur l’économie locale et de multiples répercussions sur la santé humaine
Des activités économiques importantes se déroulent également dans la zone côtière : conchyliculture, pêche artisanale, récolte des algues à pied ou par bateau, ainsi que le tourisme. La pêche à pied récréative fait aussi partie de la culture traditionnelle bretonne : de nombreuses personnes se rendent sur l’estran au moment des grandes marées pour pêcher les ormeaux, les coques ou les bigorneaux, ou pour collecter les algues. De par les effets observés sur les principales espèces calcifiantes et la faible tolérance à de fortes températures de nombreuses espèces d’algues en Bretagne, il est probable que le changement climatique impactera le milieu économique dépendant de ces ressources, ainsi que la pêche récréative et les activités touristiques associées.
L’impact de l’acidification sur la santé humaine n’est peut-être pas celui auquel on pense en premier lieu mais il est pourtant bien réel et de plus en plus documenté dans la littérature scientifique5. Les océans fournissent en effet de nombreux services écosystémiques, tels que la nutrition, les médicaments et les bienfaits sur la santé physique et mentale. L’acidification des océans pourrait affecter la santé humaine selon quatre voies principales : la malnutrition et l’intoxication par altération de la quantité et de la qualité des produits de la mer, les troubles respiratoires dus à la détérioration de la qualité de l’air6, les impacts sur la santé mentale par la modification des espaces naturels et la diminution des possibilités de développer et d’obtenir des ressources médicales du fait de la perte de biodiversité. Au fur et à mesure que les effets de l’acidification des océans se manifesteront, il est peu probable que les individus ressentiront l’un ou l’autre de ses effets de manière isolée. Les impacts négatifs sur la santé humaine résulteront plutôt de relations complexes et interdépendantes liées à ces modifications.
Quelles solutions dans un contexte de changement climatique ?
Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas fortement réduites, une chute drastique de la biodiversité marine risque de se produire, laquelle est déjà mise à mal par la surexploitation des espèces, la destruction des habitats, le développement des espèces invasives et le rejet de polluants provenant du milieu terrestre. Il est parfois envisagé d’avoir recours à des programmes de repeuplement lorsque des populations marines disparaissent, comme pour l’huître plate en rade de Brest. Cependant, ces programmes sont complexes, coûteux et longs à mettre en place. De plus, seules quelques espèces dont la reproduction est maîtrisée pourront bénéficier de ce type de solution par repeuplement. Pour anticiper ce déclin qui risque de s’accentuer, il est important de promouvoir des zones avec un fort niveau de protection (zone refuge) et de réduire les autres facteurs environnementaux aggravants.
D’autres pistes sont actuellement en étude, se basant sur des solutions fondées sur la nature, pour anticiper et amortir les effets des changements climatiques. Par exemple, l’aquaculture de plusieurs niveaux trophiques (algues et consommateurs primaires et secondaires) pourrait être une solution pour produire des ressources marines de manière durable. Il faut cependant que ce type d’aquaculture soit suffisamment rentable pour permettre le développement d’une activité économique pérenne. Les algues captant du CO² et augmentant le pH de l’eau de mer, le développement d’une algoculture à proximité des élevages d’organismes calcifiants pourrait aussi être une piste de bioremédiation pour diminuer l’impact de l’acidification sur les organismes. Cependant, ces solutions de bioremédiation n’en sont qu’à leur balbutiement, et ne pourront compenser que partiellement les effets des changements globaux.
Photo 2 : Culture de Saccharina latissima sur filière en Finistère Nord. © Titouan Larose.
L’algoculture, encore peu développée en France, est une piste étudiée pour réduire les effets de l’acidification sur les organismes marins. En captant le CO2 lors de leur croissance, les algues permettent d’élever le niveau du pH. Les champs de macroalgues poussant naturellement sur les fonds rocheux bretons représentent aussi potentiellement des espaces réduisant les effets de l’acidification pour les organismes marins. Cependant, seuls les organismes situés à très faible distance de ces algues, provenant du milieu naturel ou de culture, bénéficieront de cet effet positif.
Titre : Acidification et réchauffement des eaux côtières bretonnes
Auteur : Haut Conseil Breton pour le Climat
Année de publication : 2024
Type : Rapport
Citation : HAUT CONSEIL BRETON POUR LE CLIMAT, 2024, « Acidification et réchauffement des eaux côtières », Bulletin annuel 2024, p. 28-31
- Global Carbon Project, Friedlingstein et al, 2023 ↩︎
- IPCC (GIEC), SROCC, rapport spécial sur l’océan et les glaces, 2019 ↩︎
- Fernandez de la Hoz et co-auteurs, marine environmental research, 2019 ↩︎
- Pereira et coauteurs, Aquatic Botany, 2017 ↩︎
- Falkenberg et coauteurs, Ocean Acidification and Human Health. Int Environ Res Public Health, 2020 ↩︎
- Des problèmes respiratoires peuvent être déclenchés par les efflorescences d’algues toxiques, lesquelles peuvent varier en composition ou en fréquence à cause du changement climatique (Falkenberg, 2020) ↩︎